Avec un discours à la télévision Nana Akufo-Addo a voulu couper court à une insistante polémique. Depuis plus d’une semaine, l’opposition ghanéenne a pris la tête d’une virulente contestation sous forme de marche de protestation contre un accord militaire paraphé fin mars, entre le Ghana et les Etats-Unis et qualifié d’«atteinte à la souveraineté». Acculé, le président ghanéen qui a toujours nié l’installation d’une base militaire américaine sur le sol du pays, s’est résolu à apporter un cachet officiel à son refus.
Le Ghana a-t-il secrètement accepté d'autoriser l'installation sur son sol d'une base militaire américaine ? On ne le saura peut-être jamais tant la clameur de la polémique rythmée par des manifestations dans les rues d'Accra s'est greffée à une communication gouvernementale cacophonique sur un accord de coopération militaire signé le 23 mars avec les Etats-Unis.
Symbole de la volatilité du débat, Nana Akufo-Addo a dû activer le mode «damage control» avec un discours retransmis à la télévision ce jeudi au soir. Face à ses compatriotes, le président ghanéen a dû réaffirmer son «non» à l'installation d'une base militaire américaine. Une posture d'éclaircissement face aux tirs croisés d'une opposition convaincue qu'en dehors de l'accord, le président ghanéen aurait négocié une clause secrète autorisant les Etats Unis à s'implanter sur le sol ghanéen. Ce qui, aux yeux de l'opposition est une violation de la souveraineté du Ghana et de la mémoire des «Pères de l'Indépendance» dont fait partie le propre père de Nana Akufo-Addo.
«Les Etats-Unis n'ont jamais fait une telle demande, et n'en feront pas. Je ne serais pas le président qui ferait des concessions sur la souveraineté du pays. Je respecte la mémoire des patriotes, dont les sacrifices nous ont apporté notre indépendance et notre liberté», garantit Nana Akufo-Addo sur les antennes de la télévision. Mais la rue ghanéenne a un autre avis.
Sous le hashtag #GhanaFirst, des manifestations portées par la National Democratic Congress (NDC), le parti d'opposition de John Dramani Mahaman, le prédécesseur d'Akufo-Addo, vitupère contre l'accord militaire conclu entre les Etats-Unis et le Ghana. Assorti d'un chèque d'investissement de 20 millions de dollars pour la formation et l'équipement des forces armées ghanéennes, l'accord prévoit des exercices conjoints entre les armées ghanéenne et américaine «nécessitant l'accès aux bases ghanéennes des participants américains ainsi que ceux d'autres pays».
Pour autant l'opposition soutient qu'une clause négociée en dehors du cadre de l'accord, prévoit une implantation américaine dans le pays pour étoffer l'impressionnant mais discret déploiement militaire des Etats-Unis en Afrique. Les dénégations des deux pays n'y changent rien pour l'opinion publique ghanéenne. «Akufo-Addo ne doit pas vendre le Ghana», s'autorise même une pancarte agitée lors des manifestations de mercredi dernier.
Akufo Addo, victime de son leadership pour une Afrique qui se prend en charge
En s'engageant dans un leadership continental décomplexé et anti-impérialiste, Nana Akufo-Addo aurait peut-être glissé un bémol dans son papier lisse. A moins qu'il soit victime du succès de cette posture dans une Afrique en quête de leaders, comme l'analyse pour La Tribune Afrique, Régis Hounkpè, le directeur exécutif d'InterGlobe Conseils, spécialiste de géostratégie et de communication politique. «Même si l'accord de défense avait été préalablement approuvé et conclu entre Accra et Washington pour des raisons strictement diplomatiques, l'opposition de la rue a eu raison de ce partenariat. Dans un sens, la révolution culturelle menée par Nana Akufo-Dodo a fait plus d'adeptes qu'il ne l'imaginait lui-même», explique notre spécialiste.
Et pourtant, l'accord militaire avec les Etats-Unis semblait représenter un filet de sécurité pour le Ghana, havre de stabilité dans une Afrique de l'Ouest marquée par une poussée de fièvre où les Etats-Unis, déjà engagés contre Boko Haram autour de la région du lac Tchad, Al Shabab en Somalie, veulent agir contre les ramifications de l'Etat islamique au Sahel. Le président ghanéen s'est inscrit dans cette posture de «prudence» au moment où le Burkina, le Mali, le Burkina, le Nigéria et même la Côte d'Ivoire ont essuyé des attaques terroristes.
« Il est temps que les Africains s'occupent efficacement de la sécurité des Africains. La facilité avec laquelle certains observateurs estiment que le continent est incapable de faire face à cette priorité ne fait que renforcer le degré d'aliénation culturelle et politique de ces derniers. A cet effet, le mouvement #GhanaFirst qui renvoie ironiquement au slogan de campagne de Donald Trump a eu un effet moteur dans le changement de position d'Accra et renseigne sur la puissance des nouvelles formes de société civile de certains pays africains», plaide pour sa part, Régis Hounkpè.
Ce spécialiste de prospective géopolitique pousse la réflexion plus loin sur ce besoin d'affirmation d'indépendance. «Le commandement militaire américain en Afrique (Africom) n'a pas prouvé toute son efficacité. Il était certes utile dans le temps, autant que ses pairs français et européen, mais aujourd'hui moins stratégique que pourrait être une force intégrée à l'échelle du continent africain, pressent-il avant de conclure. En définitive, se joue progressivement un rejet des anciennes fondations de domination politique et économique au Ghana - mais aussi ailleurs - et nous nous orientons vers la définition d'un nouveau paradigme géopolitique en Afrique. »
Par Ibrahima Bayo Jr avec les commentaires de Régis Hounkpè, directeur exécutif d'InterGlobe Conseils disponible ici .